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Dysplasie du coude

Chronique Vétérinaire

Par Simon Verge, D.M.V

Introduction

La dysplasie du coude constitue le deuxième problème orthopédique majeur en terme de fréquence chez le bouvier bernois (après la dysplasie de la hanche). Elle conduit parfois à des boiteries sévères et nécessite une sélection génétique rigoureuse de la part des éleveurs. Les traitements chirurgicaux disponibles (qui sont parfois très coûteux et qui n’offrent pas toujours un excellent pronostic) ne sont pas toujours applicables et doivent parfois laisser place à l’euthanasie de chiens affectés trop sévèrement.

Qu’est-ce que la dysplasie du coude?

Il s’agit au départ d’un problème qui regroupe plusieurs anomalies possibles au niveau de cette articulation du membre antérieur. Le coude constitue l’articulation de trois os. A cet endroit, l’humérus vient se déposer sur le radius et l’ulna qui sont deux os juxtaposés. La dysplasie du coude peut être attribuable à la fragmentation du processus coronoïde médial de l’ulna, à la non-union du processus anconéen et à l’ostéochondrite disséquante du condyle médial de l’humérus. Ces différentes manifestations peuvent survenir seules ou en combinaison et elles peuvent être unilatérales ou bilatérales en affectant un seul ou les deux coudes d’un même chien.

Cette maladie est-elle nouvelle?

Cette maladie n’est certainement pas nouvelle mais c’est en 1989 à Davis (Californie) qu’un groupe de chercheurs (Working Group Meeting to Study Canine Elbow Disease) a proposé de former un comité international pour l’étude et le contrôle de l’arthrose du coude chez le chien. Cet organisme (International Elbow Working Group) se réunit chaque année de façon à uniformiser les évaluations à l’échelle internationale.

Quelles sont les causes de cette dysplasie du coude?

Plusieurs études publiées â ce jour s’accordent à conclure que la principale cause du problème est l’hérédité (origine multifactorielle ou polygénique). Des facteurs nutritionnels (débalancement de calcium, phosphore et vitamine D) ainsi que l’alimentation trop abondante sont également mis en cause.

Cette maladie est-elle spécifique au Bouvier Bernois?

Sans être spécifique au bouvier bernois, cette condition est néanmoins reconnue comme étant notamment très répandue dans cette race. La dysplasie du coude affecte plus particulièrement quelques races de grands chiens dont le terre-neuve, le rottweiler, le labrador, le golden retriever et le bouvier bernois.

Comment se développe-t-elle?

Si plusieurs théories ont été avancées à ce sujet, l’une d’entre elles semble de plus en plus rassembler l’opinion générale: il y aurait souvent croissance asynchrone et trop rapide des deux os qui sont juxtaposés en partie distale du coude, à savoir le radius et l’ulna. Il y aurait donc incongruence articulaire au site de leur articulation avec l’humérus et dommages articulaires subséquents, avec apparition ultérieure de petits ostéophytes (excroissances osseuses).

À quelle âge apparaît la dysplasie du coude?

La dysplasie du coude est tout comme la dysplasie de la hanche une maladie qui apparaît graduellement chez le chiot pendant sa croissance. La boiterie chez les chiens sévèrement affectés commence en moyenne vers l’âge de 5 à 6 mois et les animaux sont présentés pour consultation en moyenne vers l’âge de 11 mois.

Y a-t-il différents grades de dysplasie à ce niveau?

Le système de gradation le plus reconnu est le système suédois qui utilise une radiographie latérale en flexion complète du coude. Ce système établit une quotation de O à 3, notamment sur la base des ostéophytes (proliférations osseuses) observés sur différents sites (notamment sur l’aspect proximal du processus anconéen, l’aspect cranial de la tête du radius, le bord dorsal du processus coronoide et l’épicondyle médial de l’humérus).

Y a-t-il une prédisposition de sexe pour cette maladie?

La dysplasie du coude est possible chez les deux sexes mais l’arthrose qui se développe est souvent plus importante chez le mâle (probablement à cause de sa croissance plus rapide et de certains facteurs hormonaux) et les signes cliniques qui y sont associés font que les mâles paraissent en conséquence plus souvent affectés. Les ratios publiés à cet effet varient généralement entre 5 :1 et 2 :1 Une étude australienne publiée en 1991 concernant le labrador établissait un ratio de 2 :1 pour les chiens présentant des lésions d’ostéochondrose et de 7.3 :1 chez les chiens présentant des lésions sévères ou une boiterie continuelle. Une étude suisse publiée en 1998 concernant notamment 425 bouviers bernois établissait que les mâles ont 1.8 fois plus de chance que les femelles de développer de l’arthrose.

Quelle est la fréquence de ce problème chez le Bouvier Bernois?

Une étude publiée en 1982 en Californie (33 bouviers bernois) établissait qu’environ 45% des bouviers bernois étaient affectés de fragmentation du processus coronoide et que 80% d’entre eux présentaient des lésions bilatérales. Une autre étude publiée en 1989 établissait que, dans la plupart des races, les mâles semblent deux fois plus souvent affectés cliniquement. Une étude plus extensive réalisée en Suède en 1988 regroupait 1300 bouviers bernois dont 48% présentaient de l’arthrose. Une étude norvégienne publiée en 1991 et portant sur 414 bouviers bernois radiographiés parmi une population de 3823 bouviers enregistrés établissait que 6 1.4% des chiens étaient normaux alors que 18.8%, 10.9% et 8.9% des chiens présentaient respectivement un diagnostic d’arthrose de grade 1, 2 ou 3. Après répartition des cas selon le sexe, on constatait que 62.8% des femelles et 59 des mâles étaient normaux. Le grade 1 regroupait 22.2% des femelles et 15.5% des mâles, le grade 2 représentant 9.2% et 12.6% des cas respectivement et le grade 3 totalisant 5.8% des femelles et 12.1% des mâles. Un rapport publié en 1994 rapportait 49% de chiens normaux sur 90 bouviers radiographiés en Grande-Bretagne alors que les grades léger, modéré et sévère regroupaient respectivement 26, 16 et 9% des chiens. Le même rapport publiait que 40% des 2800 bouviers bernois radiographiés en Suède présentaient un certain degré de dysplasie du coude. Une étude suisse publiée en 1998 concernant notamment 425 bouviers bernois démontrait que même si environ 87% de ces chiens paraissaient cliniquement normaux (sans boiterie), 55% d’entre eux présentaient des degrés divers d’arthrose.

Ce problème est-il aussi fréquent au Québec?

Je crois que nous ne faisons pas exception à cet égard et qu’on peut assez facilement affirmer que cette condition est sans doute présente à des degrés divers chez près de 40% des bouviers bernois, même si la plupart d’entre eux sont asymptomatiques. En se basant sur la fréquence des interventions chirurgicales requises à ce niveau dans nos hôpitaux vétérinaires de référence, ce problème atteint presque l’envergure de la dysplasie de la hanche. La préoccupation des éleveurs pour la dysplasie des coudes est certes plus récente et la surutilisation de certains mâles reproducteurs non certifiés ou non certifiables à cet égard vient parfois assombrir ce portrait.

À quelle âge une radiographie diagnostique est-elle concluante?

Une opinion préliminaire basée sur une radiographie est généralement fiable dès l’âge de 12 mois. A cette fin, une certification officielle par le GDC (Institute for (lenetic Disease Control in Animals, Davis, Californie) est disponible dès l’âge de douze mois mais elle nécessite deux projections radiographiques par coude (latérale neutre et latérale en flexion) de façon â dépister plus précisément toute anomalie. Il n’en demeure pas moins qu’une certaine évolution est possible dans la deuxième année et que la certification finale de 1’OFA (Orthopedic Foundation for Animals inc.) devrait être demandée en même temps que celle des coudes (dès l’âge de 24 mois). Dans le cas de ces deux organismes, seuls les chiens déclarés exempts (grade 0) se verront octroyer un numéro de certification.

Quelle est l’héritabilité de cette condition?

Certains chiffres publiés par les suédois en 1990 établissaient l’héritabilité entre 0.25 et 0.45 ce qui est très élevé. Selon eux, la progéniture de deux chiens normaux présenterait généralement de l’arthrose chez 30% des sujets alors que celle de deux chiens dysplasiques serait composée en moyenne de 55% de chiots atteints. Une étude britannique publiée en 1990 concernant notamment le labrador établissait l’héritabilité à 0.77 pour les mâles et 0.45 pour les femelles.

La qualité des hanches et celle des coudes vont-elles de pair?

Malheureusement, cette corrélation n’existe pas. Un chien peut facilement afficher une qualité de hanche excellente et un grade très sévère de dysplasie du coude. Cette conclusion amène parfois les éleveurs à prendre des décisions difficiles mais néanmoins nécessaires pour la bonne conduite de leur élevage. C’est pour cette raison que certains éleveurs tardent parfois à emboîter le pas dans la certification de leurs chiens reproducteurs en ce qui concerne les coudes même s’ils exercent parfois une sélection de longue date sur la question des hanches.

Qu’en est-il de la sélection effectuée en suisse à ce sujet?

Depuis 1992, les éleveurs suisses doivent obligatoirement faire radiographier les coudes de leurs bernois reproducteurs. Seuls les grades O et I sont admis â l’élevage. L’âge minimum maintenant fixé pour ces radiographies est de 14 mois. Lorsque plus de 10 certificats de descendants ont été émis, les résultats des mâles concernant leur descendance sont publiés dans le périodique officiel de la Société cynologique suisse. En examinant ces chiffies publiés en 1996, on observait que chez les mâles qui ont produit plus de 20 descendants radiographiés, le pourcentage de descendants normaux (grade 0) varie de 48.3 à 88.2% des chiens radiographiés alors que le pourcentage de chiens gradés 2 ou 3 varie de O à 38.1% des descendants selon le mâle reproducteur utilisé. Ce programme aurait fait passer le pourcentage de chiens gradés 2 ou 3 de 24.6% entre 1987 et 1991 à 12.5% pour les années 1992 à 1995. La proportion de chiens normaux (grade 0) est passée de 56% (années 1988 à 1991) à 66% (années 1992 à 1995).

Où se trace la limite de l’Acceptable pour un chien reproducteur?

Comme éleveur, je crois qu’il serait de bon aloi de respecter à tout le moins la réglementation actuelle de la Suisse, pays d’origine de ce chien. A cet effet, tout chien bouvier bernois mâle ou femelle devrait être radiographié et certifié avant accouplement. S’il est gradé dysplasique de niveau 2 ou 3 selon les normes internationales utilisées par l’OFA et le GDC, il ne devrait, en accord avec ces normes, jamais être reproduit. Pour ce qui est du premier grade de dysplasie du coude, mon opinion comporte certaines nuances que j’expliquerai ici.

En ce qui concerne les mâles, je m’avancerai à dire qu’on ne saurait être trop sévère dans leur sélection pour la reproduction et ce, pour les raisons suivantes. D’une part, le nombre d’individus mâles requis pour maintenir la qualité d’une race est nettement moindre que celui des femelles. En effet, si un mâle peut aisément donner naissance à une dizaine de portées par année (supposons 60 chiots), il serait inhabituel et non éthique de voir une femelle donner naissance à plus de 10 chiots sur la même période (les éleveurs se limitant généralement à une seule portée par an). En conséquence, l’influence d’un mâle reproducteur sur la dynamique de sélection d’une population se trouve d’autant renforcée par rapport à celle d’une femelle, en rapport avec le nombre de leurs descendants respectifs. On comprendra ici que, si le nombre de mâles requis est moindre, on peut avantageusement s’imposer d’être encore plus sévère sur tous les critères de qualité (conformation, tempérament, hanches, coudes, yeux, etc.) En conséquence, je crois qu’un éleveur sérieux pourrait ainsi se faire un point d’honneur réalisable d’adopter la tolérance zéro en regard des coudes, pour les mâles qu’il entend reproduire.

En ce qui concerne les femelles, je nuancerai un peu mes propos. Sans nier qu’il serait peut-être désirable de leur appliquer universellement la même norme de tolérance zéro, cette mesure m’apparaît pour l’instant peut-être prématurée et utopique, notamment en raison de la prévalence actuelle de cette condition chez le bouvier bernois. En effet, si le seul défaut notable d’une femelle de qualité était d’être dysplasique de grade 1 d’un seul coude et qu’elle provenait d’ascendants certifiés exempts du problème, il pourrait m’apparaître exceptionnellement justifiable de l’accoupler avec un mâle certifié exempt dont les ascendants seraient également irréprochables à cet égard sur plusieurs générations. Il n’en demeure pas moins que le moindre grade de dysplasie des coudes m’apparaît une faute importante qui mérite mure réflexion et nécessite le choix d’un mâle de qualité exemplaire à cet égard. Un tel accouplement ne devrait alors pas être répété si la femelle semblait ainsi transmettre ce problème à quelques individus issus d’une première portée.

Conclusion

Pour l’éleveur concerné par la dysplasie des coudes et celle des hanches, la sélection et surtout l’amélioration génétiques ne s’effectuent pas sur un seul accouplement mais seulement par un travail de longue haleine qui fera appel à des certifications officielles appliquées sur plusieurs générations. Les registres officiels que sont notamment l’OFA et le GDC uniformisent non seulement les évaluations mais traversent le temps et marquent l’histoire d’une race en constituant la mémoire! En ce sens, la valeur génétique d’un individu en reproduction canine ne s’établit pas seulement sur son évaluation particulière, mais également sur celle de ses ancêtres. Ces deux niveaux d’évaluation constituent un pré-requis nécessaire avant de penser reproduire un sujet pour pouvoir juger un individu sur la qualité de sa descendance (même si celle-ci constitue, en bout de ligne, le meilleur jugement que l’on puisse porter sur un reproducteur).

S’il n’était qu’une seule conclusion à retenir des présents propos, j ‘oserais affirmer que les pires défauts d’un éleveur sont par ordre décroissants d’importance les suivants: le mensonge, le manque de transparence, l’ignorance volontaire et l’ignorance vraie. En effet, chacun devrait toujours être honnête et transparent dans la divulgation des résultats de certification disponibles. D’autre part, je crois qu’un éleveur consciencieux ne saurait ignorer la dysplasie du coude au même titre que celle des hanches et qu’il devrait soumettre tous ses chiens à des radiographies diagnostiques à cet égard. Je considère en effet qu’il risque d’y avoir plus de conséquences à accoupler un chien de statut inconnu (non radiographié) que de tenter consciencieusement de rectifier le tir en choisissant un partenaire de qualité pour corriger un léger défaut à cet égard (à condition bien sûr que cette imperfection soit mineure).

Je crois que cette race mérite bien un certain professionnalisme et qu’AUCUN chiot bouvier bernois ne saurait maintenant naître de parents non radiographiés pour les hanches ET les coudes. De plus, ces radiographies devraient idéalement toujours recevoir une certification officielle de type OFA, qui leur confère ainsi uniformité et pérennité.

Les opinions exprimées ici sont celles du docteur Simon Verge, m.v.

Tous droits réservés. Aucune reproduction en tout ou en partie de cette chronique n ‘est permise sans le consentement écrit de l’auteur.

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